[texte inclus dans le catalogue de l’exposition A Period Room: Christophe Gossweiler, Olivier Mosset, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu (atelier B, 9 septembre-13 octobre 2017), Marsannay-la-Côte, 2018.]
À Marsannay, Camille Besson, Raphaël Rossi et Maxime Testu cherchaient à confronter leurs sculptures à des peintures de grand format. Nous leur avons proposé deux monochromes – de Christophe Gossweiler et d’Olivier Mosset – peints aux alentours de 1980. C’était juxtaposer deux contemporanéités. Celles des monochromes mérite un petit commentaire.
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La peinture d’Olivier Mosset – sans titre, 1979, acrylique sur toile, 7 x 21’ (213,36 x 640,08 cm) –, est un monochrome rouge qui été montré pour la première fois à C Space, à New York, en 1980, lors d’une exposition personnelle de l’artiste. Elle fut jointe en 1986 aux toiles néo-géo composant son exposition One Step Backwards, au Centre d’art contemporain de Genève, (27 janvier-15 mars – dans une salle séparée) et à la Villa Arson, la même année (30 avril-29 juin). Nous l’avons remontrée à l’entrepôt 9, à Quetigny, l’an dernier, dans le cadre de l’exposition Tous les tableaux sont à l’envers. Selon Olivier Mosset, il y a deux autres toiles rouges, de ce format triple carré : l’une de ces deux toiles, appartenant alors à Mark Hostettler, a figurée en 1988, dans la grande exposition du musée de Lyon, La couleur seule, le monochrome – passée dans la collection Richterich (Ricola), elle est actuellement en dépôt au Kunstmuseum de Lucerne ; l’autre (anciennement collection Jacques Schaer), réapparue sur le marché en 2015, est au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne. Ces deux autres toiles sont postérieures.
La peinture de Christoph Gossweiler – sans titre, 1981, acrylique sur toile, 144,5 x 912 cm – est un monochrome bleu, de même hauteur et longueur que le Blue Bird CN7 de Donald Campell (voiture mythique destinée à battre le record du monde de vitesse sur terre, 1960-1964). Ce monochrome, montré pour la première fois lors de l’exposition Amaretti, Gossweiler, Herzog, Nussbaum, à l’Aargauer Kunsthaus, du 14 août au 20 septembre 1981 avait un frère, de longueur et de largeur identique au même véhicule, un frère qui, lui, était étalé sur le toit du musée. Acheté par Jean Brolly sur photographie, il n’avait jamais été remontré avant l’exposition Abstraction extension, une scène romande et ses connexions II, à la fondation Salomon, à Alex (74), du 5 juillet au 2 novembre 2008. Dans la documentation du Freistilmuseum qui l’accompagne, on remarque un article sur le record de Campell publié dans la livraison 798 de Paris-Match (25 juillet 1964). Il est signé de Serge Lemoine !
Ces peintures de grand format sont d’ordinaire conservées roulées. La toile de Mosset est tendue pour la quatrième fois, celle de Gossweiler, pour la troisième. Elles témoignent des aventures du monochrome aux alentours de 1980, au croisement des scènes suisse et new-yorkaise.
La vogue du monochrome, dans les années 1970 existe déjà ; les qualificatifs de peinture fondamentale ou analytique étant tour à tour avancés. Marcia Hafif s’inscrit dans ce courant, mais le texte « Beginning again » qu’elle signe en 1978, dans la livraison automnale d’Artforum, marque un tournant. Elle y fait le bilan d’une période marquée par la déconstruction et l’analyse des différents paramètres constitutifs de la peinture et annonce une nouvelle phase « synthétique ». Ce texte, remarqué par Olivier Mosset, est à l’origine de la réunion d’une sorte de groupe, et de discussions dont certaines seront publiées dans Flash Art ou Cover, puis de deux expositions en 1983 et 1984, dont la plus connue est Radical Painting (Williamstown, 3 mars-22 avril 1984).
Marcia Hafif a alors déjà réalisé des monochromes monumentaux. Le premier, Grayed Cobalt Blue (en trois parties), aux proportions des Nymphéas de Monet, du Moma (200 x 424.8 cm), est disposés en courbe à la galerie Sonnabend, à New-York, en 1975, un dispositif architectural qui rappelle la scénographie des Nymphéas de l’Orangerie, à Paris. Un second, Ultramarine Blue, est montré la même année dans les locaux parisiens de la même galerie et couvre toute la longueur d’un mur.
Pour la Biennale de Paris de 1977, Olivier Mosset a déjà réalisé un monochrome rouge qui conserve cependant les traces au crayon de bandes verticales ; il est aux dimensions du mur (300 x 610 cm). C’est le précurseur d’un grand monochrome rouge « 300 x 600 cm, de 1978, qui, lui aussi, a eu des variantes assez proches, comme celui du Kunstmuseum de Berne (1981), et celui de la galerie Susanna Kulli (1983).
Cette même année 1977, Christophe Gossweiler présente des carrés monochromes formés de trois bandes verticales pour les bourses fédérales à Lausanne. Dans une exposition au Portugal (22 Artista Suiço, Belém, 10 octobre-9 novembre 1980) figure une autre œuvre liée à la couleur de voitures : quinze monochromes de petit format, renvoyant à la projection de quinze diapositives de voiture de course de mêmes couleurs, les vues ayant été prises au circuit de Prenois, au nord de Dijon. Nous l’avons remontrée dans le cadre d’Abstraction étendue – une scène romande et ses connexions, à l’Espace de l’art concret, Mouans-Sartoux (10 février-25 mai 2008).
La même année que son exposition personnelle à C Space, Olivier Mosset y organise une exposition de peintres suisses amis, Armleder, Federle, Gowssweiler (21 septembre-4 octobre 1981). Le carton d’invitation reproduit une vue en couleur du Cervin. « Gossweiler est représenté par une œuvre téléphonée et réalisée par ses collègues : le travail est composé de cartons bleus et de cartons blancs exposés avec des posters de voiture de courses. Il expose également un “livre” avec des pages de couleur “brique” en rapport avec l’espace lui-même… »
Le monochrome emporte avec lui son propre dépassement. Dans la documentation du Freistilmuseum accompagnant le monochrome d’Aarau, figurait une carte postale de pin-up. La vue du Cervin, distrayante ou le motif de départ des voitures de Gossweiler annoncent un art de l’appropriation, sachant observer, collectionner, prélever, pour en tirer des motifs formels. En 1983, Mosset dira qu’il en a « assez de cette peinture fondamentale », annonçant ainsi son tournant néo-géo. Il redonnera des titres à ses peintures… Mais c’est déjà une autre histoire.
Christian Besson, 12 août 2017