L’histoire des expositions occupe désormais une place important au sein de la littérature artistique, à côté de celle des musées et des cabinets de curiosités.
L’histoire des Salons, les débuts romains de l’exposition des maîtres anciens, les expositions marquantes des avant-gardes, y forment entre autres des chapitres particuliers. Pour ce qui est du présent, on a pris l’habitude de documenter les expositions – plans, photographies, témoignages –, tout en multipliant anthologies et recueils commémoratifs. Parmi cette littérature, deux traits symptomatiques méritent d’être relevés.
The Story of Exhibitions, de Kenneth W. Luckhurst (Londres, 1951), ouvrage déjà vénérable, commence classiquement avec les expositions des académies – française et anglaise –, mais ne traite ensuite que des expositions industrielles et universelles. Ce dernier type de sujet a donné lieu depuis à une bibliographie copieuse, mais guère considérée comme une contribution à la littérature artistique : pour l’essentiel, l’histoire des expositions industrielles et commerciales et celle des expositions d’art se sont développées séparément. L’art ne saurait se mélanger avec la marchandise !
Die Kunstausstellung : ihre Geschichte von den Anfängen bis zum Ausgang des 18. Jahrhunderts, de Georg Friedrich Koch (Berlin, 1967), qui parcourt le sujet de l’Antiquité à nos jours, est le premier essai généraliste. Il ouvre des voie dans plusieurs domaines : militaire, avec les triomphes ; religieux, avec les reliques et certains rites ; civil, enfin, avec les pompes, les foires et les boutiques, entre autres. Il n’offre cependant des aperçus novateurs que dans la mesure où des biens artistiques et/ou précieux y sont impliqués. Une telle tentative, même avec ses limites, est restée isolée.
Les formes d’expositions explorées par les artistes eux-mêmes, et ceci depuis de nombreuses années, pointent pourtant, et de façon récurrente, vers des domaines extra-artistiques. Quand Georges Adéagbo dispose des documents et des objets au sol, lors de la Biennale de Venise de 2009, ce geste s’éclaire-t-il d’être référé à la seule histoire de l’installation dans l’art contemporain ? Ne serait-il pas plus juste de le comparer à d’autres formes d’étalage, les racines même de l’artiste suggérant, en outre, de ne pas s’en tenir aux puces et brocantes de notre propre culture. En l’occurrence, on veut bien admettre que l’artiste emprunte (détourne, se réapproprie, parodie, etc.) une forme appartenant à un autre contexte que celui de l’art, mais très vite, on pense que, ce geste ayant lieu dans l’art, c’est là le seul champ dans lequel peuvent se développer des comparaisons. Tout se passe comme si la théorie des champs culturels, chère à Bourdieu et à de nombreux chercheurs à sa suite, fonctionnait comme un obstacle épistémologique. Il faut bien noter à cet égard qu’il y a belle lurette que les artistes ont fait éclater de telles clôtures, traversant en diagonale champs, métiers, rôles, dispositifs, etc., et se méfiant des assignations à résidence.
Les historiens, quant à eux, véhiculent le même type de blocage. Comme le remarque Marcel Détienne, ils usent sans vergogne de la formule : « On ne peut comparer que ce qui est comparable ». (Le trait s’applique aussi aux historiens de l’art.) Les anthropologues n’ont pas de telles réticences. « L’activité comparative est consubstantielle au savoir anthropologique. Dans la “science historique”, elle est toujours insolite […] » (Marcel Détienne, Comparer l’incomparable, Paris, Le Seuil, 2000.)
Mais comment comparer, si comparer suppose de ne pas s’en tenir au phénomène des expositions dans la société contemporaine occidentale ? Peut-on parler d’expositions avant la Renaissance, dans l’Antiquité, ou encore ailleurs – en Chine, en Afrique ou dans les sociétés amérindiennes, par exemple ? La notion même d’exposition n’est-elle pas surchargée par la notion d’art avec les considérations esthétiques que nous y rattachons ?
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L’article complet peut se lire dans Art Press 2, n° 36, « Les expositions à l’ère de leur reproductibilité », sous la dir. de Christophe Kihm et Laurent Jean-Pierre, janvier 2015.